Le lendemain de l'assaut contre Malgranne
Lompois le bourgmestre restait prostré dans la maison commune prétextant une mauvaise blessure et la nécessité de réfléchir à la situation. Eshara avait désigné un adolescent devenu orphelin pour l’accompagner dans les fermes environnantes et rameuter les fermiers pour repeupler le village.
Lompois
Aidée par les heureuses initiatives de Roshek qui avait eu la présence d’esprit d’organiser la reconstruction de Malgranne, Sœur Eoni, femme énergique entre toutes, débordant de courage, prit en charge ce qu’elle nomma la Grange aux Soins. Cette grange, rescapée de l’assaut des hommes-loups, fut improvisée en hôpital de campagne, aménagée de lits de paille à même le sol en terre battue, d’une porte posée sur des trépieds en guise de table d’opération, et d’une auge simulant l’armoire à pharmacie contenant instruments chirurgicaux, couteaux, cisailles, pinces, potions et bandages, sans oublier l’âtre indispensable pour stériliser et chauffer à blanc les instruments de cautérisation. Le personnel comptait 5 villageois. Sœur Eoni naturellement, directrice, laborantine, alchimiste et apothicaire, deux jeunes femmes, Anna et Ingrid les deux infirmières volontaires que les derniers tristes événements avaient placées en veuvages, Tristan et Gordon deux terrassiers faisant offices de brancardiers et fossoyeurs. Mais il manquait le plus important : le chirurgien.
Sœur Eoni se sentait lasse, très lasse. Si elle n’avait pas promis à Mère Miri de respecter ses dernières volontés, au jeune mage elle lui aurait dit ses quatre vérités et quelles qu’en soient les conséquences. Mais elle avait promis. Que faire de ce mage ? Alors que le village avait tellement besoin de ses talents, il passait ses journées à prier sur la sépulture d’Hostwaine son père et de celle de Mère Miri. Ce ne fut pas une tâche aisée que de le sortir de sa torpeur pour enfin le pousser à opérer au sens propre du terme dans l’hôpital de fortune. Même s’il montrait peu d’entrain à la tâche, le résultat fut probant, mais de courte duré. En milieu d’après-midi de sa deuxième journée d’exercice, il disparut, soudainement, sans aucune raison apparente. Eoni désespérait. Elle partit à sa recherche dans la ferme intention de le ramener à la tâche. Elle le retrouva chez lui, avachi sur son lit, inerte, les yeux grands ouverts fixés vers le plafond, apparemment sans avoir pris conscience qu’il représentait le seul espoir de survie des malheureux mourants entassés dans la Grange des Soins. Eoni se sentait lasse, très lasse et elle avait promis. Mais certaines promesses sont difficiles voire impossibles à tenir.
- Jeune homme, tu vas cesser ta comédie d’adolescent et retourner soigner nos pauvres ouailles ! Pour donner plus de poids à son instruction, elle lui saisit énergiquement l’un de ses bras pendant mollement vers le sol, pour le forcer à se lever. Ce qu’il fit sans aucune résistance, comme une momie dont il avait pris l’apparence.
- Au nom du Créateur, tu es le seul à pouvoir sauver ces gens ; remue-toi bon sang !
Rien.
A bout de force, elle ne put retenir son geste ample et violent qui se conclut par la rencontre brutale de sa main droite grande ouverte avec la joue gauche de son interlocuteur. Rien, sinon un mouvement de tête en réaction au choc. Elle s’effondra dans ses bras, abattue de n’avoir tenue sa promesse sans pour autant avoir obtenu de résultat, sans avoir donné espoir à ses patients. Totalement désarçonnée, elle émit des reproches entrecoupés de profonds sanglots sans savoir s’ils s’adressaient au jeune mage, au Créateur ou aux deux à la fois.
- Pourquoi réagis-tu ainsi ? Pourquoi refuses-tu de nous aider ? Qu’avons-nous fait pour mériter un tel châtiment ? Tu pourrais faire de grandes choses, sauver des familles, te donner une réelle raison d’être. Mais non, tu restes là les bras ballants, abandonnant ceux que tu as connus à une mort certaine.
Rylan écarta la pauvre femme. Son attitude s’était transformée. D’un être éteint par la mélancolie, il arborait une tenue altière, un regard perçant de détermination, calme, assuré et tranchant mais dénué de tout sentiment. Sans le moindre commentaire, il se dirigea vers la petite étagère sur laquelle son père y déposait ses précieux livres. Il prit les livres un à un pour les déposer mécaniquement sur le sol. Il accompagna ce curieux protocole d’une ordonnance vocale posée sur un ton monocorde parfaitement neutre.
- Nous sommes en présence de trois traumatismes : des plaies, des fractures et des chocs psychologiques. Ces trois maux pouvant se cumuler en autant de combinaisons que possible. Pour être parfaitement efficace, la seule chirurgie ne suffit pas. Elle se révèle même superfétatoire pour les troubles psychologiques. Les potions complètent l’espace laissé libre par la chirurgie. Antiseptique, anesthésique, analgésique, pour ne citer que les principales, sont indispensables. Les potions que vous produisez manque de puissance. Voici ce qu’il nous faut.
A l’instant où il prononçait cette dernière phrase, il plaqua sa main sur un emplacement du mur juste au-dessus de l’étagère dégagée de livres. Deux secondes plus tard, sa main s’enfonçait dans une alcôve pour en extraire un carnet.
- Le carnet d’Hostwaine s’étonna Sœur Eoni. Je pensais qu’il avait définitivement disparu.
Sans prêter la moindre attention aux propos de la sœur, Rylan parcourut rapidement les pages manuscrites du carnet. Il corna quatre pages avant de remettre le carnet à la brave femme totalement médusée.
- Peux-tu fabriquer ces quatre potions ?
Sœur Eoni lu attentivement les trois recettes. Elle avait appris à lire tardivement par la bonté de l’enseignement bénévole de mère Miri. Toutefois, sa vitesse de lecture était réduite ; il lui fallut plusieurs minutes pour digérer les trois recettes de potions médicinales que le fils du guérisseur avait sélectionnées. Ce dernier ne manifesta aucun signe d’impatience comme si la notion de temps lui était inconnue. Il attendait.
Après avoir décrypté les quatre formules, elle hésita. Devait-elle suivre ses consignes ?
- La potion d’Efface-Mémoire n’est-elle pas sans danger ?
- A faible dose, elle élimine les instants les plus récents et les plus troublants, ceux que la pensée souhaite se débarrasser en premier. Très efficace pour guérir un traumatisme psychologique.
- Mais comment déterminer la bonne dose ? Ne risque-t’on pas des effets secondaires ?
- Les mêmes questions s’imposent à chaque imputation, et la réponse est invariablement la même : la médecine, c’est l’art de la négociation avec la mort. Peux-tu fabriquer ces quatre potions ?
Le ton du mage restait totalement neutre et impersonnel. La sœur se résigna.
- Je le pourrais si nous avions de la potion de lyrium.
Rylan plongea à nouveau sa main dans l’alcôve secrète. Il en sortit une bourse dont il préleva une pièce d’or qu’il remit à l’apothicaire.
- Rends-toi chez Roshek, il détient deux fioles de lyrium. Demandes les lui. S’il est désintéressé, il te les donnera sans hésiter. Sinon, comportement fort probable, il les monnaiera. Il devrait les estimer à une pièce d’or. Achètes-lui. Si tu les obtiens pour moins cher, gardes la monnaie et fais-en bon usage. On se retrouve dans la grange.
- Mais, …
Sans se préoccuper de la réaction d’Eoni, sans prêter la moindre attention à ses objections, il replaça tranquillement les livres à leur place, et se rendit sans hâte à la Grange aux Soins.
De crainte de briser le faible espoir qu’elle venait de susciter, elle partit à la recherche de Roshek.
Deux jours après l'assaut contre Malgranne
Le jeune Roshek avait une drôle de sensation, balançant entre le chagrin d’avoir perdu ceux qui lui était cher, et une excitation nouvelle, un désir de liberté et d’émancipation. Son père avait voulu “faire un gros coup” mais l’échec avait été cuisant et il l’avait payé cher. C’était finalement aussi bien que sa pauvre mère soit partie avec son cher époux, elle n’aurait pas supporté sa solitude, et du même coup le jeune nain s’était retrouvé succéder à son père à la tête de l’entreprise familiale. Mais il avait de l’ambition et ses dernières aventures avait éveillé en lui un désir de voyage et de prise de risque. Il n’avait jamais été peureux, et son père n’avait jamais hésité à lui confier des missions délicates, voire musclées. Devenir un simple épicier de village n’était pas assez pour lui, il voyait plus loin, plus haut ! Le pécule de l’héritage de ses parents allait lui permettre de partir en toute sérénité et il comptait bien le fructifier et monter un affaire juteuse. De plus les voyages périlleux, les risques de mauvaises rencontres lui apportaient un sentiment d’être quelqu’un et le risque lui procurait un délicieux frisson. Bien sur il n’était pas “tête en l’air” et il savait que seul il ne survivrait pas longtemps. Le petit groupe avec lequel il était parti, et revenu, de ses dernières aventures, avait fait ses preuves. Roshek était bien décidé à continuer cette association le plus longtemps possible. Comme il était d’un naturel sociable et même jovial, la compagnie d’êtres aussi différents ne le gênait en rien: L’Alvar était en quête de bagarres et de gloire, l’elfe cherchait aussi à se faire une respectabilité et un nom, le mage quand à lui n’avait plus vraiment de raison d’être et trouverait un exutoire à ses pensées morbides en affrontant la mort en face. Roshek veillerait donc à ce que chacun trouve son intérêt dans ce type d’entreprise, aussi était il décidé à être “large” dans les partages et à valoriser l’ego, certes démesuré, de chacun de ses compagnons d’armes. Seule la finalité avait de l’importance, et comme son père lui avait enseigné, les petits investissements pouvaient rapporter gros !
Malld
Sœur Eoni, se dirigea vers l’épicerie qui miraculeusement n’avait pas brulé dans l’incendie. Elle y trouva le nain afféré avec Malld un fermier peu doué pour les travaux de la ferme qu’elle connaissait vaguement. La discussion était courtoise mais vive.
- Je vous dérange…
- Mais non ma Sœur, entrez je vous en prie. Mon cher X, dit le nain en se tournant vers son premier interlocuteur, nous finirons notre transaction demain ou après-demain.
L’homme sortit sans un mot, adressant juste un regard noir à la femme. Le nain souriait et se réjouissait visiblement de cette interruption.
- Voila, cher Roshek, je souhaiterai obtenir de votre part les potions de lyrium que vous avez acquises récemment. Auriez-vous la gentillesse d’en faire cadeau pour la Grange aux Soins ?
Que répond Roshek ?
Texte de Marc, Michel et Pascal