Ci-dessous un extrait de « Une vie Magique », autobiographie du Grand Voyageur et Maître de la Tour du Cercle Rylan de Malgranne.
Ce retour fut fort long. Nous manquions d’empressement, sans doute du fait que nous menions un convoi d’une taille inhabituelle avec ses sept chevaux chargés de coffres pour certains, de nos trois prisonniers pour les autres, convoi bien encombrant pour des personnes peu habituées à transporter une telle quantité de bagage. Nous fîmes une dernière halte aux abords de Ruswold. Après que chacun eut fini ses tâches respectives dans un silence religieux, attacher les chevaux, isoler les prisonniers, préparer un feu et autres, entraînés par Arcill et non sans raison, mes compagnons échangèrent sur la stratégie à tenir pour la suite. Je m'écartais de ce débat pourtant essentiel prétextant un besoin de méditation pour me préparer aux dangers à venir.
Ils devisaient, je méditais.
Je m’étais fait une opinion sur l’origine de cette étrange histoire. Thrumhall se révélait être un chevalier en mal de pouvoir et de fortune, prêt à toutes les exactions pour satisfaire ses ambitions. Il fit alliance avec une bande de brigands en leur faisant miroiter plaisir et rapine faciles, qui visaient à créer un climat de terreur autour de la région de Ruswold réputée pour la qualité de ses immenses conifères qui meublaient les forêts environnantes. Il lui suffit alors de se présenter avec sa garde rapprochée, de simuler quelques succès matérialisés par un ralentissement sensible des violences engendrées par les méfaits des hommes de la Main Sanglante. Le bann Valadur Krole brillant guerrier impuissant face à une bande de sauvages mal organisée, fut vite relégué au titre d’incompétent. Le peuple galvanisé par les relatifs succès du chevalier à la venue bénéfice, élu celui-ci qu’il considérait comme sauveur. Devenu ban à la place du ban, les rapines purent reprendre tranquillement. Une fois suffisamment de biens récoltés, il fit éliminer par son fidèle toutou la Main Sanglante patron des brigands, histoire d’éviter de traîner un témoin qui pourrait devenir dangereux et coûteux avec l’avantage complémentaire de réduire le nombre de personne à rémunérer. Certes, vous me direz que les preuves d’accusation sont très grossières, comme si un manipulateur secret nous invitait à condamner l’innocent et vénérable ban Thrumhall. Peut-être mon ami, peut-être. Oui, il peut paraître étrange de sa part d’avoir fait appel à des aventuriers pour en réalité les piéger et les utiliser dans un but contraire aux exigences du Créateur, surtout si l’un d’entre eux n’est autre qu’un Apprenti Voyageur, l’élite de la jeunesse des mages du Cercle. Sans doute notre homme état-il trop sûre de lui, aveuglé par ses réussites et ses ambitions démesurées, soit inconscient voire totalement stupide, ou effectivement lui-même victime d’une savante machination. Mais c’était là son problème. Le mien était d’une toute autre nature.
Ma méditation se focalisait sur trois curiosités. Mes récents rêves, qui se montraient particulièrement prémonitoires. Le Mabari à l’intelligence très, trop affûtée, et à la musculature hors norme. Les bottes de Waldric, des bottes de mage, des bottes de Voyageur, mystérieusement détenues par un vulgaire brigand. La magie se confondait donc avec la conspiration en mouvement de bien sinistre nature, une magie néfaste en opposition avec la volonté du Créateur. Une modeste aventure commune se métamorphosait en une affaire personnelle.
Ils devisaient, je personnalisais.
Face à une affaire emprunte de magie, une tenue professionnelle s’imposait. Je décidais de remettre ma tenue de mage. La volonté ridicule de Roshek de me déguiser en simple nomade se révélait profitable sur un point : ma robe était propre. Je troquais donc mon manteau de voyage crasseux, contre ma robe restée protégée d’éclats boueux, de résidus de végétaux, d’excréments animaliers, de sang de brigands. Je me sentais mieux ainsi vêtu jusqu’à ce que mon regard se porte sur mes chaussures de marche. Catastrophe, un sol maculé des restes d’une orgie en furie aurait fait figure d’une grande propreté par rapport à l’écœurant spectacle qui se dressait à mes yeux. Je frôlais la nausée. Quelle honte ! Il me fallait changer de chaussures. Je tenais la solution : les bottes. J’ôtais en hâte mes croquenots, prêt en enfiler mon trésor. On dit que les bottes de Voyageurs possèdent des propriétés magiques, variables selon le modèle. Mais toutes procuraient confort, protection contre les pires conditions climatiques, adhérence à l’ensemble des natures de sol, résistance à l’usure et aux chocs. Ces particularités tant appréciées venaient tout simplement du cuir et de la matière des fils de coutures et des lacets. Une légende prétend que la matière première n’est autre que la peau et les boyaux de dragon, une autre de ceux de démons. En fait, sinon quelques rares artisans Apaisés, personne n’en connaît le secret.
Une malicieuse question vient vous brûler le bout de votre langue intimidée, n’est-ce pas ? : Pourquoi, moi, un Apprenti Voyageur, je dois me contenter de vulgaires souliers ? Mais voyez-vous, ces merveilles de cuir nées d’un long et délicat ouvrage d’art connu des seuls Apaisés tanneurs et bottiers, sont fortes onéreuses. Seul un mage fortuné peut s’en offrir. Si j’ai la chance de posséder le don de magie, malheureusement, il me manque celui de la fortune.
Je m’apprêtais donc à enfiler pour la première fois ma paire de botte du cercle, lorsque je constatais qu’en matière de propreté, elles rivalisaient avec mes pauvres souliers. Et me voilà, armé d’un chiffon et de salive, à lustrer du cuir. Je perçus quelques regards désappointés de mes compagnons.
Ils devisaient, je polissais.
Je cessais, faute d’approvisionnement en salive. Le résultat toutefois fut convenable. Je pouvais enfin les enfiler. Ce que je fis. Une première sensation attisa mon sens de l’observation : les pieds du défunt propriétaire se montraient plus grands que les miens. Je me consolais en remarquant que cette situation était préférable à l’inverse. Je saisissais la paire de longs lacets qui remontaient le côté intérieur de chaque botte, lorsque ceux-ci, devinant mes intentions se mirent eux-mêmes en mouvement, se faufilant tel un serpent au travers les nombreux oeillets cerclés d’un fin anneau de métal précieux. Ils ajustèrent leur traction pour garantir une fermeture étanche, et un maintien des jambes parfaitement assuré. Simultanément, les empeignes et les semelles s’adaptèrent à ma pointure, les contreforts à la forme de mes pieds. Puis le cuir noir se para de reflets bordeaux assortis au ton dominant de ma robe. Jamais je n’avais été chaussé avec autant de confort, ni avec autant de gout.
Ils devisaient, je revenais.
Après cet intermède heureux, je repris ma méditation. Celle-ci emprunta rapidement une voie obsessionnelle qui me conduisait face au molosse de Trumhall dont l’interprétation de mes rêves me le montrait sous un visage humain : un lycanthrope. Je savais. Je savais que je devais me méfier de mes rêves, la principale faiblesse des mages, capable sous un effet hypnotique de m’entraîner vers l’Immatériel. Je me repris et parvins à me focaliser sur les conséquences de nos derniers actes, et de leur dangereuse révélation. Je pris conscience de l'ampleur du danger dans lequel mes compagnons et moi-même nous nous étions impunément enfoncés. Je fus saisi d'un frisson en comprenant que dès cet instant, le moindre faux-pas nous conduirait vers une issue fatale, issue qui laisserait impunément un acte de magie négative sévir à nouveau. Je souhaitais ardemment anéantir seul cette mystification caractéristique de l’imagination destructive d’Apostats, ne pas impliquer mes compagnons dans des évènements qui les dépasseraient. Mais dus-je en souffrir, je pressentais que pour réussir dans cette périlleuse entreprise, il m’était impossible d’agir sans l’aide de solides combattants et de fins diplomates. Aussi, Je me résignais à rejoindre la discussion animée de mes compagnons. J’hésitais un court instant pour leur exposer mes déviances oniriques en lycanthropie démoniaque. Je m’abstins, craignant de rencontrer une totale incompréhension de leur part, de susciter une inquiétude paralysante ou pire, leur laisser entendre que la folie faisait partie de mes fréquentations. Aussi, je me contentais d’un laconique : « Alors, qu’avez-vous décidé ? »
Tout en prononçant ces mots, je priais le créateur qu’il nous souffle un point d'ancrage pour nous sortir de cet abîme, car pour ma part, j'avais conscience d’y être devenu aveugle.
Ils devisaient, je priais.
Ce retour fut fort long. Nous manquions d’empressement, sans doute du fait que nous menions un convoi d’une taille inhabituelle avec ses sept chevaux chargés de coffres pour certains, de nos trois prisonniers pour les autres, convoi bien encombrant pour des personnes peu habituées à transporter une telle quantité de bagage. Nous fîmes une dernière halte aux abords de Ruswold. Après que chacun eut fini ses tâches respectives dans un silence religieux, attacher les chevaux, isoler les prisonniers, préparer un feu et autres, entraînés par Arcill et non sans raison, mes compagnons échangèrent sur la stratégie à tenir pour la suite. Je m'écartais de ce débat pourtant essentiel prétextant un besoin de méditation pour me préparer aux dangers à venir.
Ils devisaient, je méditais.
Je m’étais fait une opinion sur l’origine de cette étrange histoire. Thrumhall se révélait être un chevalier en mal de pouvoir et de fortune, prêt à toutes les exactions pour satisfaire ses ambitions. Il fit alliance avec une bande de brigands en leur faisant miroiter plaisir et rapine faciles, qui visaient à créer un climat de terreur autour de la région de Ruswold réputée pour la qualité de ses immenses conifères qui meublaient les forêts environnantes. Il lui suffit alors de se présenter avec sa garde rapprochée, de simuler quelques succès matérialisés par un ralentissement sensible des violences engendrées par les méfaits des hommes de la Main Sanglante. Le bann Valadur Krole brillant guerrier impuissant face à une bande de sauvages mal organisée, fut vite relégué au titre d’incompétent. Le peuple galvanisé par les relatifs succès du chevalier à la venue bénéfice, élu celui-ci qu’il considérait comme sauveur. Devenu ban à la place du ban, les rapines purent reprendre tranquillement. Une fois suffisamment de biens récoltés, il fit éliminer par son fidèle toutou la Main Sanglante patron des brigands, histoire d’éviter de traîner un témoin qui pourrait devenir dangereux et coûteux avec l’avantage complémentaire de réduire le nombre de personne à rémunérer. Certes, vous me direz que les preuves d’accusation sont très grossières, comme si un manipulateur secret nous invitait à condamner l’innocent et vénérable ban Thrumhall. Peut-être mon ami, peut-être. Oui, il peut paraître étrange de sa part d’avoir fait appel à des aventuriers pour en réalité les piéger et les utiliser dans un but contraire aux exigences du Créateur, surtout si l’un d’entre eux n’est autre qu’un Apprenti Voyageur, l’élite de la jeunesse des mages du Cercle. Sans doute notre homme état-il trop sûre de lui, aveuglé par ses réussites et ses ambitions démesurées, soit inconscient voire totalement stupide, ou effectivement lui-même victime d’une savante machination. Mais c’était là son problème. Le mien était d’une toute autre nature.
Ma méditation se focalisait sur trois curiosités. Mes récents rêves, qui se montraient particulièrement prémonitoires. Le Mabari à l’intelligence très, trop affûtée, et à la musculature hors norme. Les bottes de Waldric, des bottes de mage, des bottes de Voyageur, mystérieusement détenues par un vulgaire brigand. La magie se confondait donc avec la conspiration en mouvement de bien sinistre nature, une magie néfaste en opposition avec la volonté du Créateur. Une modeste aventure commune se métamorphosait en une affaire personnelle.
Ils devisaient, je personnalisais.
Face à une affaire emprunte de magie, une tenue professionnelle s’imposait. Je décidais de remettre ma tenue de mage. La volonté ridicule de Roshek de me déguiser en simple nomade se révélait profitable sur un point : ma robe était propre. Je troquais donc mon manteau de voyage crasseux, contre ma robe restée protégée d’éclats boueux, de résidus de végétaux, d’excréments animaliers, de sang de brigands. Je me sentais mieux ainsi vêtu jusqu’à ce que mon regard se porte sur mes chaussures de marche. Catastrophe, un sol maculé des restes d’une orgie en furie aurait fait figure d’une grande propreté par rapport à l’écœurant spectacle qui se dressait à mes yeux. Je frôlais la nausée. Quelle honte ! Il me fallait changer de chaussures. Je tenais la solution : les bottes. J’ôtais en hâte mes croquenots, prêt en enfiler mon trésor. On dit que les bottes de Voyageurs possèdent des propriétés magiques, variables selon le modèle. Mais toutes procuraient confort, protection contre les pires conditions climatiques, adhérence à l’ensemble des natures de sol, résistance à l’usure et aux chocs. Ces particularités tant appréciées venaient tout simplement du cuir et de la matière des fils de coutures et des lacets. Une légende prétend que la matière première n’est autre que la peau et les boyaux de dragon, une autre de ceux de démons. En fait, sinon quelques rares artisans Apaisés, personne n’en connaît le secret.
Une malicieuse question vient vous brûler le bout de votre langue intimidée, n’est-ce pas ? : Pourquoi, moi, un Apprenti Voyageur, je dois me contenter de vulgaires souliers ? Mais voyez-vous, ces merveilles de cuir nées d’un long et délicat ouvrage d’art connu des seuls Apaisés tanneurs et bottiers, sont fortes onéreuses. Seul un mage fortuné peut s’en offrir. Si j’ai la chance de posséder le don de magie, malheureusement, il me manque celui de la fortune.
Je m’apprêtais donc à enfiler pour la première fois ma paire de botte du cercle, lorsque je constatais qu’en matière de propreté, elles rivalisaient avec mes pauvres souliers. Et me voilà, armé d’un chiffon et de salive, à lustrer du cuir. Je perçus quelques regards désappointés de mes compagnons.
Ils devisaient, je polissais.
Je cessais, faute d’approvisionnement en salive. Le résultat toutefois fut convenable. Je pouvais enfin les enfiler. Ce que je fis. Une première sensation attisa mon sens de l’observation : les pieds du défunt propriétaire se montraient plus grands que les miens. Je me consolais en remarquant que cette situation était préférable à l’inverse. Je saisissais la paire de longs lacets qui remontaient le côté intérieur de chaque botte, lorsque ceux-ci, devinant mes intentions se mirent eux-mêmes en mouvement, se faufilant tel un serpent au travers les nombreux oeillets cerclés d’un fin anneau de métal précieux. Ils ajustèrent leur traction pour garantir une fermeture étanche, et un maintien des jambes parfaitement assuré. Simultanément, les empeignes et les semelles s’adaptèrent à ma pointure, les contreforts à la forme de mes pieds. Puis le cuir noir se para de reflets bordeaux assortis au ton dominant de ma robe. Jamais je n’avais été chaussé avec autant de confort, ni avec autant de gout.
Ils devisaient, je revenais.
Après cet intermède heureux, je repris ma méditation. Celle-ci emprunta rapidement une voie obsessionnelle qui me conduisait face au molosse de Trumhall dont l’interprétation de mes rêves me le montrait sous un visage humain : un lycanthrope. Je savais. Je savais que je devais me méfier de mes rêves, la principale faiblesse des mages, capable sous un effet hypnotique de m’entraîner vers l’Immatériel. Je me repris et parvins à me focaliser sur les conséquences de nos derniers actes, et de leur dangereuse révélation. Je pris conscience de l'ampleur du danger dans lequel mes compagnons et moi-même nous nous étions impunément enfoncés. Je fus saisi d'un frisson en comprenant que dès cet instant, le moindre faux-pas nous conduirait vers une issue fatale, issue qui laisserait impunément un acte de magie négative sévir à nouveau. Je souhaitais ardemment anéantir seul cette mystification caractéristique de l’imagination destructive d’Apostats, ne pas impliquer mes compagnons dans des évènements qui les dépasseraient. Mais dus-je en souffrir, je pressentais que pour réussir dans cette périlleuse entreprise, il m’était impossible d’agir sans l’aide de solides combattants et de fins diplomates. Aussi, Je me résignais à rejoindre la discussion animée de mes compagnons. J’hésitais un court instant pour leur exposer mes déviances oniriques en lycanthropie démoniaque. Je m’abstins, craignant de rencontrer une totale incompréhension de leur part, de susciter une inquiétude paralysante ou pire, leur laisser entendre que la folie faisait partie de mes fréquentations. Aussi, je me contentais d’un laconique : « Alors, qu’avez-vous décidé ? »
Tout en prononçant ces mots, je priais le créateur qu’il nous souffle un point d'ancrage pour nous sortir de cet abîme, car pour ma part, j'avais conscience d’y être devenu aveugle.
Ils devisaient, je priais.
Texte de Marcapuce
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