Les quatre héros du jour reçurent un accueil triomphal dont le mérite tenait davantage au glorifiant discours de Roshek sur les perspectives d’approvisionnement que sa famille allait pouvoir dorénavant assurer au bénéfice de la population en l’éloignant ainsi définitivement de l’avenir sombre sous l’ombre de la famine, qu’à leur succès contre une brande de brigands et la neutralisation d’un sanctuaire démoniaque.
Sous l’impulsion de Rylan, ils conduisirent le corps de Hostwaine à la chapelle du village. Le jeune mage miné par l’obsession de sauver l’âme de son père, s’adressa sans ménagement à Mère Miri, lui ordonnant de donner immédiatement sa bénédiction pour pouvoir ensuite déposer le corps auprès de celui de sa mère décédée d’une violente maladie alors qu’il avait que trois ans. Mère Miri n’était pas femme à se laisser mener par un mage arrogant, d’autant que sa requête s’opposait à l’orthodoxie de la Chantrie qui condamnait irrévocablement tout être qui par faiblesse se laissait pénétrer par la volonté pernicieuse de l’Engeance. Aussi, elle s’apprêtait tout naturellement à refuser sa sollicitation. Mais elle se ravisa. Craignait-elle qu’un refus entraînerait le jeune homme vers une folie démoniaque, ce jeune garçon réservé, intelligent et si gentil qu’elle avait en partie protégé et éduqué après le décès de sa mère ? Regrettait-elle son père, le guérisseur, auprès duquel elle portait une grande estime malgré sa damnable déchéance ? Ou tout simplement, n’avait-elle pas cédé aux assauts d’arguments convaincants que proférait Roshek en rappelant que les villageois bénissaient d’Hostwaine le guérisseur et ne comprendraient pas les raisons qui justifieraient qu’il ne puisse bénéficier d’une cérémonie funéraire digne. Et, la réalité ne montrait-elle pas qu’il s’était sacrifié pour révéler un dangereux et infernal sanctuaire dont les premières manifestations avaient déjà marqué la région ? N’avait-il pas montré un profond sens de la détermination et du sacrifice comme le dictait le Chant ? Aussi elle céda avec toutefois l’exigence d’obtenir la promesse que la mort tragique du guérisseur ne soit jamais divulguée. Car, si jamais la moindre rumeur à ce propos venait chuchoter aux oreilles des templiers, le pire pourrait se produire. Roshek, promis sans hésiter. Falos l’elfe imitant son maître fit de même. Arcill l’alvar ne comprenait pas toutes ses hésitations. Un chaman guérisseur demandait le respect et un enterrement conforme à son statut, c’est ainsi. Mais, il promit comme sans doute cela devait être l’usage chez les féreldiens. Seul Rylan resta silencieux. Mais il n’avait pas besoin de promettre. Il avait deviné dès les premiers jours de son retour à Malgranne les tourments de son père. Il était revenu avec la ferme intention de connaître la raison qui avait poussé le guérisseur à envoyer son fils à la Tour du Cercle ; quatre années d’humiliation et de souffrance, pourquoi ? La mystérieuse raison, maintenant il en avait percé le secret. Il ne lui était pas nécessaire de promettre, non, il ne lui était pas nécessaire.
Cela faisait cinq jours que Rylan s’était enfermé seul dans la maisonnée devenue sienne, volets et porte verrouillés. Cinq jours de jeun qui commençaient à peser sur sa santé. Dans un semi rêve, il se rémora l’instant où l’alvar l’avait apostrophé pour lui rapporter que ses faits d’armes contre les brigands et démons avaient fortement contribué à la libération de l’âme possédée du père du jeune mage, et de ce s’était acquitté sa dette. Le mage ne l’avait pas contredit, d’autant que les propos du barbare n’était pas dénués d’une juste vérité. Aussi il ne voulait contrarié ce fils cadet d’un chef de clan qui par son rang n’appréciait guère se retrouver sous l’autorité d’autrui. Il cherchait l’aventure pour acquérir expérience et honneur afin de parvenir à ses fins ; succéder à son père. De ce point de vue, le mage et l’avar possédaient des points communs. L’un et l’autre étaient fiers voire présomptueux, avec un objectif précis qui ne pouvait se réaliser sans qu’ils deviennent un maître dans leur domaine de prédilection ; combat chez l’un, magie chez l’autre. Leur première expérience commune avait d’ailleurs démontré la complémentarité de leur expertise. Rylan se surprit à penser que la compagnie du barbare serait sans doute profitable a son dessein. Mais sans doute était-il déjà loin. Cinq jours, cinq jours à se morfondre inutilement, à ruminer son affreux parricide. Tuer celui qui l’avait protégé durant toute son existence, celui qui l’avait tant aimé. De toutes les épreuves qu’il avait traversé celle-ci fut de loin la plus difficile. Pourquoi le Créateur lui imposait tant de tourments ? Quelle faute avait-il commis qui mérite tant de souffrance ? Qu’attendait-il ? Que voulait-il lui enseigner ? Un début de réponse chemina dans son esprit mélancolique.
Quelques heures plus tard, paré de sa belle robe bordeaux, il arpenta les rues du village d’un pas fatigué. A l’instar du barbare qui lui avait été redevable, c’était à son tour de se proposer à payer sa dette. Il frappa à la porte de la famille Nevvin. Roshek lui fit un accueil chaleureux, et en voyant le visage émincé du mage, lui imposa de partager le déjeuner familiale. L’amabilité devait être une constante de cette famille naine. Le mage vécu un moment agréable comme il n’en avait pas connu depuis quatre ans. Il en oublia le motif de sa visite. En fin d’après-midi, après une dernière collation, il s’apprêtait à retourner chez lui, lorsqu’il aperçut Falos, en train de couper du bois. Il s’excusa envers ses hôtes pour rejoindre l’elfe. Il lui posa la main sur l’épaule et lui souffla une parole, un mot, un seul : « Merci ». Puis, il quitta la maison des marchands pour retourner dans sa maisonnée. Cette demi-journée lui avait apporté courage et détermination. Décidé à reprendre son destin en main, il décida de louer ses services à ceux qui saurait l'employer à bon escient.
A suivre...
(texte de Marcapuce)